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3 février 2016 3 03 /02 /février /2016 12:49
georges perros

Joubert est le secret de quelques-uns. Ses lecteurs, rares, en sont venus à former une espèce de société secrète, à tel point qu’ils s’ignorent les uns les autres. Le « tiens, vous connaissez Joubert » laisse percer à la fois du dépit — comme s’il rendait jaloux ceux qu’il distingue — et de la gratitude — c’est « bien » d’aimer Joubert. Il passe généralement pour l’auteur par excellence des connaisseurs, des gourmets ès littérature. Pour l’écrivain de haute fréquentation, sorte de M. Teste pour femmes et hommes du monde le meilleur, confident idéal. On ne le remet jamais en question, parce que classé définitivement dans cette galerie des « mineurs » de race. Ainsi jouit-il d’une profonde méconnaissance. On ne peut en parler qu’à mi-voix, comme si cet homme fou de lumière ne se supportait, et ne supportait d’être aimé, que dans l’ombre. Une ombre complice. Georges Perros, Papiers collés II, Gallimard, 1973.

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20 janvier 2016 3 20 /01 /janvier /2016 22:18
Christopher Isherwood et Wystan Hugh Auden en route pour la Chine, 1938 (photo National Media Museum)

Christopher Isherwood et Wystan Hugh Auden en route pour la Chine, 1938 (photo National Media Museum)

« D’aucuns disent que l’amour est un petit garçon,

D’autres disent que c’est un oiseau,

D’aucuns disent qu’il fait tourner le monde,

D’autres disent que c’est absurde,

Et quand je demandai au voisin,

Qui feignait de s’y entendre,

Sa femme se fâcha vraiment,

Et dit qu’il ne faisait pas le poids. »

Wystan Hugh Auden, Dis-moi la vérité sur l’amour, Christian Bourgois éditeur, 1995.

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18 janvier 2016 1 18 /01 /janvier /2016 19:10
Natsumé Sôseki sur le billet de cent yens

Natsumé Sôseki sur le billet de cent yens

« Faut-il ou non payer la force de travail intellectuel ? Et quel usage faire de l’argent ? Faut-il se dédouaner de toute reconnaissance sociale pour conserver sa liberté, au risque de s’exposer à des difficultés matérielles incontournables ? (Sôseki avait, rappelons-le, une famille nombreuse et une femme dépressive.) » Ryôji Nakamura et René de Ceccatty, préface à Mon individualisme de Natsumé Sôseki, Rivages poche/ Petite Bibliothèque, 2004. Les questions posées par les deux préfaciers et traducteurs sont pertinentes, — ils citent l’extrait d’une lettre dans laquelle Sôseki raconte qu’au bout de quelque temps, on lui fit passer une enveloppe contenant deux billets de cinq yens (sur laquelle était précisé : « modeste gratitude ») pour la conférence qu’il donna le 25 novembre 1914 à l’École des Pairs, lettre où il avoue encore que « cette somme m’a toujours pesé sur la conscience ». Le problème est d’importance, et Sôseki ne le résout qu’en projetant d’offrir tout de go cet argent à l’un ou l’autre de ses amis artistes. Un écrivain se paye de mots, et non point de papier monnaie. Je ne doute pas que Sôseki était assez désabusé pour sourire de ce qu’il aurait acheté des pinceaux en les payant à quelque temps de là d’un billet de cent yens où figurait justement sa grave effigie (!).

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15 janvier 2016 5 15 /01 /janvier /2016 13:44

En 1972, l'émission « En personne » marche dans les pas du poète Philippe Jaccottet

Ce jeune homme de presque cinquante ans parle des paysages, des arbres, de la lumière. « Devant une page blanche, si j’avais des certitudes, je n’écrirais plus. »

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14 janvier 2016 4 14 /01 /janvier /2016 12:54
Gustave Roud

Gustave Roud

Thévoz, tu le sais, toi aussi : cette procession de peupliers solennels, cette double file de vivantes colonnes vertigineuses qui guidait le voyageur vers ton village et ta maison, ils l’ont jetée à bas, ils l’ont dépecée avec des scies, des haches, et ces coins de métal qu’on enfonce à coup de masse en pleine chair. Il n’y a plus, entre les berges de gazon, qu’une route sans accueil, pâle et dure sous trop de soleil comme une rivière que le gel a saisie — un chemin mort. Est-ce que nous pourrons sauver nos souvenirs ? Gustave Roud, Air de la solitude, Mermod, Lausanne, 1945.

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13 janvier 2016 3 13 /01 /janvier /2016 10:12
Cahier Marcel Proust, Bibliothèque nationale de France

Cahier Marcel Proust, Bibliothèque nationale de France

Innombrables sont les cahiers et les carnets de Marcel Proust, qui sont naturellement conservés dans le fonds Marcel Proust de la Bibliothèque nationale de France, — du moins ceux qui ont échappé aux flammes du poêle où les enfourna diligemment l’obéissante Céleste. Céleste, c’est l’anti-Max Brod, voyez-vous ? elle ne se pose pas plus de question que ça, Monsieur Marcel veut-il qu’on brûle ? — alors on brûle, trois cahiers, sept cahiers ? on n’est pas à ça près. On n’en sauvera pas la moindre petite page. Même en plein mois d’août, le poêle est toujours allumé dans l’alambic de liège où se distille le plus grand roman de notre modernité. Tous ces cahiers brûlés n’en sont-ils pas la part des anges ?

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13 décembre 2015 7 13 /12 /décembre /2015 14:25
rue de courcelles

« (…) Et l’appareil, à qui d’autre appartiendrait-il qu’à Robert ? Le vingtième siècle s’ouvre. Le jeune chirugien apprécie tout ce qui est moderne, toutes les nouveautés de la technique. C’est un Folding, certainement, c’était facile à manier, ou qui sait même un stéréoscope Ligier, cette petite machine qui ne cessera, parallèlement à l’invention du cinéma, de mettre l’époque sous vide. Robert Proust a préparé la prise de vues, il a montré à son frère comment procéder, puis il est retourné prendre la pose, non sans inquiétude pour la réussite de l’opération. Après s’être contorsionné car le balcon est étroit, l’exécutant a pris appui sur la ligne floue qui est au centre de l’image, la rambarde au-dessus de la ville. Au bout du balcon de la rue de Courcelles, c’est Marcel que regardent pour toujours le père et le frère, c’est lui l’absent que, nous, nous voyons, si seul, au fond de leurs yeux. » Jérôme Prieur, Proust fantôme, Gallimard, Le Promeneur, Paris, 2001.

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24 novembre 2015 2 24 /11 /novembre /2015 23:18
viens à vienne je t’attends

(…) Un train arriva le lendemain, aux alentours de minuit. Celui-là, disait-on, avait au moins l’avantage de prendre la direction dans laquelle se trouvait Vienne, selon toute vraisemblance. Ce fut dans ce train-là qu’embarqua Mendel, le porteur d’eau. Il parvint vingt-huit heures plus tard à la Nordbahnhof de Vienne. Un douanier inspecta ses bagages. L’agent sortit le haut-de-forme de Mendel de sa boîte. « Que faites-vous avec ce haut-de-forme ? » questionna-t-il. Mendel ne sut que répondre. Le chapeau lui venait de son beau-père, un boucher. Il ne l’avait jamais porté, mais l’avait toujours considéré comme un exceptionnel trésor. « On ne porte pas de haut-de-forme à Vienne ? » demanda Mendel. « Si, lui répondit l’agent, en audience pour voir l’Empereur ! — J’irai peut-être voir l’Empereur », rétorqua Mendel. Et l’agent rempaqueta le couvre-chef. Joseph Roth, Mendel, le porteur d’eau, L’Herne, septembre 2015.

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20 novembre 2015 5 20 /11 /novembre /2015 12:23
luciole, luciole

À la nuit, pour atteindre la porta Romana et aller me perdre dans Florence, je descendais des hauteurs de Bellosguardo par des sentes qui dégringolaient au milieu des jardins et des prés d’une campagne sauvage. C’était là qu’à mi-pente, entre fossés et talus, s’étendait le royaume des lucioles qui perlaient dans les hautes herbes en d’innombrables constellations. Je n’osais plus avancer ; saisi d’un trouble enivrant, j’aurais voulu disparaître dans ce bal de scintillements, m’abîmer dans ce banquet d’étoiles où s’amoncelaient, à portée de vertige, des infinis insoupçonnés. C’était comme un rêve vivant où l’espace intervertissait ses polarités : la terre venait de basculer tout contre le ciel tandis que toute la voûte céleste s’appesantissait désormais parmi les chemins endormis de Bellosguardo. Est-il plus grand miracle, pour un promeneur égaré dans un pays étranger, que d’aller ainsi timidement à fleur de ciel ? et d’y côtoyer mille trésors qui s’y dissimulent dans les herbes tièdes ? On me dit qu’aujourd’hui, ici comme ailleurs, partout, les lucioles auraient disparu et ne viendraient plus étoiler de leurs pâles confidences nos paisibles nuits d’été. Où se sont-elles en allé ? De quel crime s’étaient-elles rendues coupables que nous les eussions ainsi chassées du labyrinthe de nos rêves ? Un jour, je retournerai du côté de Bellosguardo dans le jeune été de mes rêveries, et j’y saluerai par les sentes éteintes le souvenir de mes amies perdues. (photographie : Heidi, secondcupofcoffee.wordpress.com)

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5 octobre 2015 1 05 /10 /octobre /2015 14:48
la vie simple

Comme la vie est simple quand, avec ses tout derniers euros, on s’offre tout de même un recueil de petites proses de Robert Walser, qui vient de paraître ces jours-ci aux éditions Zoé. Ce sont pourtant de vieilles, si vieilles chroniques, jetées un peu au hasard du feuilleton de la rubrique « culturelle » du Berliner Tageblatt d’il y a, pour les premières, plus d’un siècle… pour gagner tout juste sa guigne et le faible droit de continuer nonchalamment à déambuler dans les pauvres rêves fous d’être un jour, qui donc ? Robert Walser ? Cela se raconte-t-il ? cela peut-il se diviser, se multiplier, dans le miroir dansant de ces proses délicates soustraites à la marche du monde qui va toujours son bonhomme de chemin à Berlin comme ailleurs, — ni plus, ni moins. Je laisse mon bout de manuscrit en plan, je prends le précieux livre avec moi et je cours vite au Jardin vert, pour en partager la lecture avec les chèvres, les oiseaux, et quelques petits reflets d’une incertaine lumière d’automne dans le feuillage des grands arbres rêveurs. Tout en lisant dans un autre siècle, je vais grignoter un carré de chocolat d’aujourd'hui. Qu’est-ce que je vous disais ? La vie est simple.

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Une Petite Rue D’angoulême

  • : le ciel au-dessus de la rue
  • : petites proses journalières, citations, musiques, ou bouts de films.
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il devient écrivain

strindberg-copie-1.jpg

« Toujours allongé sur son canapé, il se sent pris d’une fièvre inhabituelle et tandis qu’elle se poursuit dans son corps, sa tête travaille à mettre en ordre d’anciens souvenirs, à élaguer certaines choses et à en rajouter certaines autres. De nouveaux personnages secondaires se présentent, il les voit se mêler à l’action, il les entend parler. C’est comme s’il les voyait sur la scène. Deux ou trois heures plus tard il avait une comédie en deux actes toute prête dans la tête. C’était un travail à la fois douloureux et voluptueux, si on pouvait appeler cela du travail, car cela se faisait tout seul, sans l’intervention de sa volonté et sans qu’il y fût pour rien. Mais à présent il fallait l’écrire. La pièce fut achevée en l’espace de quatre jours. Il allait et venait entre son bureau et le canapé où, par intervalles, il s’effondrait comme une loque. » (August Strindberg)

valentine

renee-2-copie-2.jpg

Ma grand-tante s’appelait Valentine. Elle vivait en solitaire à Fontbouillon, une campagne reculée, perdue, elle vivait ? — c'est un bien grand mot, je crois que je devrais plutôt dire qu’elle rêvait. Chaque jour elle s’habillait très élégamment, comme si ç’avait été un dimanche. Elle sortait peu. Elle regardait simplement la petite route qui passait devant sa porte, — où aurait-elle pu aller ? Les maris étaient morts depuis longtemps et son fils s’obstinait à vivre dans sa folie. Valentine s’asseyait à son piano et jouait ses nocturnes. La vie de Valentine est un immense, cruel et déchirant nocturne. Il y a longtemps que je pense à écrire le roman de sa vie absente. Fleur fanée d’un souvenir lointain et douloureux.

en voyage

KafkaMan

On arrive sur la grande place dès les premières heures, et tout est encore dans le tendre déploiement du rêve ; le jour est plus que le jour, — et la nuit moins que la nuit. Les pigeons égrènent la ponctuation subtile et mouvante de leur tourbillonnante quête d’horizons. Le ciel descend au milieu des murs, et les jeunes ombres s’étirent derrière les fenêtres. On est devant les vieilles procuraties, et le cœur s’absente de soi-même. On devient le voyageur de son désir — étranger au pays de ses errances.

l’écriture

wassermann

Il faudrait calculer le secret rapport entre la main et la pensée, — je ne suis pas sûr non plus que ce soit la pensée qui s’avance jusque dans la main, — c’est autre chose, peut-être simplement l’élan, la mise en mouvement de ce rapport justement, qui reste suspendu dans le fil courbe de la plume, et la respiration viendrait de ce qu’il faut tout de même, de temps en temps, tremper la plume dans le lac sombre de l’encrier. Peut-être les pensées sont-elles justement tout au fond dans l’encrier ? petites sirènes d’argent.