À la nuit, pour atteindre la porta Romana et aller me perdre dans Florence, je descendais des hauteurs de Bellosguardo par des sentes qui dégringolaient au milieu des jardins et des prés d’une campagne sauvage. C’était là qu’à mi-pente, entre fossés et...
Joseph Roth enfant. « Le train arrivait à cinq heures vingt-cinq du soir. En cette saison, le soir était depuis longtemps couché sur le monde, les volets aux fenêtres auraient dû être depuis longtemps fermés et les gens calfeutrés. Ce n’était pas le cas,...
notice de La Prisonnière, À la recherche du temps perdu, bibliothèque de la Pléiade, volume III, Paris, 1988. Pour Proust, comme il tient à le préciser dans une addition marginale au verso du folio 45 de son cahier 73, qui a entendu une transcription...
André Beucler et Léon-Paul Fargue, brasserie Lipp, boulevard Saint-Germain, Paris, 1936. « Citerai-je tous les bistros où il me fut donné d’être jeune et heureux, entouré de camarades, de pensées consolantes ou d’épaules de demoiselles ? Et par quel bout...
Emmanuelle Riva parle de son rôle dans « Hiroshima mon amour », d’Alain Resnais sur un scénario de Marguerite Duras, émission Cinépanorama du 15 mai 1959, archives INA La comédienne est filmée sur une hauteur au-dessus de Cannes,...
Joseph Roth et sa femme Friedl dans le sud de la France, 1925 « Il avait acheté du papier neuf, doux et lisse ; il avait l’impression qu’avec ce papier commençait une nouvelle phase de sa vie. Ces détails ont leur importance ; des lettres décisives, des...
Joseph Roth dans les années vingt, place de l’Odéon, Paris. « La misère et la liberté sont des sœurs très proches. L’un est contraint au vagabondage parce qu’il n’a pas de foyer, le second parce qu’il ne trouve pas le repos, le troisième parce qu’il ne...
Walden, édition de 1854 « Dès le 6 octobre, les feuilles commencent généralement à tomber, en pluies successives provoquées par le gel ou les averses, mais la moisson de feuilles la plus importante, l’apogée de la chute se situe d’ordinaire vers le 16....
il y a quelques années en Afrique… Cette petite robe a une histoire que je ne connais pas. A-t-elle été achetée à Paris dans ce magasin qu’on appelait « À la ville du Puy » sur les grands boulevards derrière l’opéra ? ou encore aux désuètes « Dames de...
Henri Matisse, La conversation, 1938. « Il existe un type de traducteur, qui n’entretient pas de liens univoques avec l’activité de traduction. Beaucoup d’excellents traducteurs ne relèvent pas de ce type, et sans doute certains de ses représentants n’ont-ils...
« Ne rien faire, ne rien dire. » « Voilà comme je vous lis, cher André Dhôtel : vos livres, vous les écrivez pour amener l’homme à la hauteur de la femme, rude tâche en vérité. Vous tenez ensemble la chair — le flux d’une histoire peuplée — et l’esprit...
Patti Smith, photographie de Claire Alexandra Hatfield « Quatre ventilateurs tournent au plafond. Le Café ’Ino est vide, à l’exception du cuisinier mexicain et d’un gamin prénommé Zak, qui m’apporte ma commande habituelle, un toast de pain complet, un...
Sarah Bernat et Armelle Furet dans Rose d’Oradour La matinée claire d’un samedi de juin. Deux jeunes filles marchent dans la campagne. Elles ont dix-sept, dix-huit ans. Elles sont dans l’été de leur vie. Suzanne, l’aînée, est déjà fiancée, tandis que...
Natsumé Sôseki sur le billet de cent yens « Faut-il ou non payer la force de travail intellectuel ? Et quel usage faire de l’argent ? Faut-il se dédouaner de toute reconnaissance sociale pour conserver sa liberté, au risque de s’exposer à des difficultés...
Christopher Isherwood et Wystan Hugh Auden en route pour la Chine, 1938 (photo National Media Museum) « D’aucuns disent que l’amour est un petit garçon, D’autres disent que c’est un oiseau, D’aucuns disent qu’il fait tourner le monde, D’autres disent...
Cahier Marcel Proust, Bibliothèque nationale de France Innombrables sont les cahiers et les carnets de Marcel Proust, qui sont naturellement conservés dans le fonds Marcel Proust de la Bibliothèque nationale de France, — du moins ceux qui ont échappé...
Gustave Roud Thévoz, tu le sais, toi aussi : cette procession de peupliers solennels, cette double file de vivantes colonnes vertigineuses qui guidait le voyageur vers ton village et ta maison, ils l’ont jetée à bas, ils l’ont dépecée avec des scies,...
Roland Barthes avec sa mère et son frère, Biscarosse, Landes, vers 1932. « Du passé, c’est mon enfance qui me fascine le plus ; elle seule, à la regarder, ne me donne pas le regret du temps aboli. Car ce n’est pas l’irréversible que je découvre en elle,...
Pentti Sammallahti, Solovki, white sea, Russia, 1992. « Je ne suis désormais plus né nulle part, et nulle part chez moi. C’est étrange et terrible, et je me fais moi-même l’effet d’un rêve qui n’aurait ni but ni racine, ni commencement ni fin, qui va...
Utagawa Hiroshige, Pluie soudaine à Shono, une des étapes du Tokaido, 1833-34, Musée national d’ethnologie, Leyde. Je ne savais pas trop où j’allais, ni même au juste d’où je m’en revenais. Il commençait à pleuvoir et j’avançais en songeant que c’était...
Sholem-Aleikhem en 1907 “ Je ne sais si vous êtes expert en cette matière, sur le sujet des jeunes filles, veux-je dire. Une frimousse toute neuve, des joues appétissantes, des prunelles de jais, des dents de perle, un cou d’albâtre, des menottes qui...
Il pleuvait l’autre dimanche à Tusson. Une petite pluie discontinue qui s’amusait à éclabousser les éventaires des bouquinistes n’ayant pas eu la chance d’être à l’abri des granges du couvent des Hommes. Je me suis promené parmi les vieux livres et les...
(…) De sorte que l’inassouvi est de l’essence du désir, mais c’est bien un désir typique le plus complet, un raisonnement le plus parfait : donc nous avons atteint ce que nous voulions, nous ne laissons pas de l’inassouvi, nous ne vivrons pas en perpétuel...
« (…) Du haut de sa solitude, encombrée de paperasses, pavée de bouquins et peuplée de ses rêves, Samuel apercevait souvent, se promenant dans une allée du Luxembourg, une forme et une figure qu’il avait aimées en province, — à l’âge où l’on aime l’amour....
Je ne sais pas pourquoi, mais je sens obscurément que sa valise est vide. La jeune fille va enfin quitter l’hôpital, laissant derrière elle le vide de sa vie. Elle écrit chez elle, — sa lettre arrivera-t-elle ? qui la lira ? aura-t-elle encore, là-bas,...
« Toujours allongé sur son canapé, il se sent pris d’une fièvre inhabituelle et tandis qu’elle se poursuit dans son corps, sa tête travaille à mettre en ordre d’anciens souvenirs, à élaguer certaines choses et à en rajouter certaines autres. De nouveaux personnages secondaires se présentent, il les voit se mêler à l’action, il les entend parler. C’est comme s’il les voyait sur la scène. Deux ou trois heures plus tard il avait une comédie en deux actes toute prête dans la tête. C’était un travail à la fois douloureux et voluptueux, si on pouvait appeler cela du travail, car cela se faisait tout seul, sans l’intervention de sa volonté et sans qu’il y fût pour rien. Mais à présent il fallait l’écrire. La pièce fut achevée en l’espace de quatre jours. Il allait et venait entre son bureau et le canapé où, par intervalles, il s’effondrait comme une loque. » (August Strindberg)
Ma grand-tante s’appelait Valentine. Elle vivait en solitaire à Fontbouillon, une campagne reculée, perdue, elle vivait ? — c'est un bien grand mot, je crois que je devrais plutôt dire qu’elle rêvait. Chaque jour elle s’habillait très élégamment, comme si ç’avait été un dimanche. Elle sortait peu. Elle regardait simplement la petite route qui passait devant sa porte, — où aurait-elle pu aller ? Les maris étaient morts depuis longtemps et son fils s’obstinait à vivre dans sa folie. Valentine s’asseyait à son piano et jouait ses nocturnes. La vie de Valentine est un immense, cruel et déchirant nocturne. Il y a longtemps que je pense à écrire le roman de sa vie absente. Fleur fanée d’un souvenir lointain et douloureux.
On arrive sur la grande place dès les premières heures, et tout est encore dans le tendre déploiement du rêve ; le jour est plus que le jour, — et la nuit moins que la nuit. Les pigeons égrènent la ponctuation subtile et mouvante de leur tourbillonnante quête d’horizons. Le ciel descend au milieu des murs, et les jeunes ombres s’étirent derrière les fenêtres. On est devant les vieilles procuraties, et le cœur s’absente de soi-même. On devient le voyageur de son désir — étranger au pays de ses errances.
Il faudrait calculer le secret rapport entre la main et la pensée, — je ne suis pas sûr non plus que ce soit la pensée qui s’avance jusque dans la main, — c’est autre chose, peut-être simplement l’élan, la mise en mouvement de ce rapport justement, qui reste suspendu dans le fil courbe de la plume, et la respiration viendrait de ce qu’il faut tout de même, de temps en temps, tremper la plume dans le lac sombre de l’encrier. Peut-être les pensées sont-elles justement tout au fond dans l’encrier ? petites sirènes d’argent.