Il se plaignait souvent de vivre à l’écart, sans bonheur ni joies ni plaisirs, sans même voir une fleur ou une jeune fille, victime de la maladie et du livre auquel il s’était sacrifié. Et certes, ce renoncement lui coûta énormément. Pourtant il n’avait...
Le numéro trente et un du paresseux vient de sortir. Nous avons envoyé, lundi, une petite quarantaine d’exemplaires à notre petite quarantaine de précieux abonnés. À ce jour, les tarifs postaux sont énigmatiques. En « écopli », cela coûte un euro et vingt...
Il n’est pas encore dix-huit heures et la nuit tombe déjà, mais le ciel est encore presque clair au-dessus des lampadaires qui viennent de s’éclairer le long de l’avenue. Je me suis installé à la terrasse du petit café Chez Dany, sous les arcades, au...
« Il est souvent arrivé qu’un écrivain ou un artiste, en créant une œuvre, ait concentré loyalement et patiemment tous ses efforts sur tel ou tel but et que ce ne soit pas ce but qu’il ait atteint, mais d’autres, auxquels sont liés des effets différents...
« Les livres ont beaucoup de qualitez aggreables, à ceux qui les sçavent choisir ; mais aucun bien sans peine : c’est un plaisir qui n’est pas net et pur, non plus que les autres ; il a des incommoditez, et bien poisantes ; l’ame s’y exerce, mais le corps,...
Comme la vie est simple quand, avec ses tout derniers euros, on s’offre tout de même un recueil de petites proses de Robert Walser, qui vient de paraître ces jours-ci aux éditions Zoé. Ce sont pourtant de vieilles, si vieilles chroniques, jetées un peu...
« (…) Et l’appareil, à qui d’autre appartiendrait-il qu’à Robert ? Le vingtième siècle s’ouvre. Le jeune chirugien apprécie tout ce qui est moderne, toutes les nouveautés de la technique. C’est un Folding, certainement, c’était facile à manier, ou qui...
« Les jeunes filles sont des espèces de fleurs qui poussent, selon les circonstances, dans les appartements ou les jardins. Elles appartiennent à la famille des chèvrefeuilles ou, mieux, à la famille des liserons. Leurs bras, pareils à de gracieuses tiges...
Les toute premières feuilles déplient obstinément leurs ailes dans le balbutiement des pluies d’avril. Les verts sont de la fête dans une barcarolle céleste. Combien de verts ? du plus clairet, si tendre, au plus ombreux, qui retient un peu de la nuit...
« De temps à autre, cet homme ou cette femme habitant une maison isolée en plein champ, une maison à peine desservie par un chemin de terre, se regarde dans la glace héritée d’un aïeul. Depuis plus de trois cents ans, cette glace a reflété des corps jeunes...
Joubert est le secret de quelques-uns. Ses lecteurs, rares, en sont venus à former une espèce de société secrète, à tel point qu’ils s’ignorent les uns les autres. Le « tiens, vous connaissez Joubert » laisse percer à la fois du dépit — comme s’il rendait...
« Aujourd’hui j’achève ma vingt-deuxième année. J’ai vu souvent, à Paris, des enfants s’en aller en terre dans de tout petits cercueils, et traverser ainsi la grande foule. Oh ! que n’ai-je traversé le monde comme eux, enseveli dans l’innocence de mon...
« Tant que j’écris, je me sens en sécurité. Ce n’est peut-être que pour ça que j’écris. Ce que j’écris importe toutefois peu. Il suffit que je ne m’arrête pas. Ce peut être n’importe quoi aussi longtemps que j’écris pour moi-même : pas de lettre, ni rien...
Peu à peu on ouvre nos yeux endormis. C’est donc ainsi que le monde existe ? Qu’est-ce qui se passe, ho ho ? il n’y a vraiment, vraiment personne là-dedans ? On dirait bien qu’il fait grande nuit autour de nous. Il n’y plus beaucoup de lumière — peut-être...
« Il est quatre heures d’octobre. Loin du Jura. Depuis quinze ans, au retour du soleil du Maroc et d’Algérie, je me suis exilé dans ce village de Champagne, entre plaines et collines, entre vignes et colza. Je gagne mon temps à le perdre dans l’infini...
« (…) Il est vrai, cependant, que son œuvre suggère un autre lien. Non plus de domination, d’appropriation, mais d’accueil, d’ouverture à la vie traversante, à son élan qui déborde toute représentation, comme le montre la manière dont il décentre l’espace...
« … Car la véhémence avec laquelle de grandes et nobles fractions de la nation réaffirment leur patriotisme, la passion avec laquelle une grande partie de la jeunesse s’engage dans de fougueux combats — sans autre but que d’affirmer ou renforcer le sentiment...
(…) Un train arriva le lendemain, aux alentours de minuit. Celui-là, disait-on, avait au moins l’avantage de prendre la direction dans laquelle se trouvait Vienne, selon toute vraisemblance. Ce fut dans ce train-là qu’embarqua Mendel, le porteur d’eau....
Ce dix-neuf de juin 1917, de Bienne, Robert Walser écrit aux éditions Huber & compagnie. Il ne semble pas trop se laisser facétieusement aller à ses habituelles bouffonneries. Il faut dire que l’affaire est de la première importance : il s’agit de la...
« (…) Qu’importe que cette lumière fût de telle ou telle saison, à tel ou tel endroit de la terre. Il avait toujours eu besoin de la lumière sur son visage, sur son corps, jusque dans les livres. Il ne lisait plus que des livres emplis de lumière, même...
C’est à Rome. C’est une nuit dans l’été de notre amour, — quand on ne le savait pas, quand on l’ignorait — qu’on s’aimait. Impossible de s’aimer dans cet été-là de Rome. Vous avez dix-neuf ans (vous avez toujours eu dix-neuf ans à Rome, je le sais). Je...
Hier après-midi, lundi de Pâques, à la brocante devant le stade Chanzy, j’ai trouvé un livre de Francis Carco, Nostalgie de Paris. Je l’ai vu de loin, par terre, sur le bord de la route, à côté d’un lot de romans sentimentaux et de livres scolaires ;...
« Et le plus jeune de ses oncles, Reb Yankl. Une petite famille : ils étaient seuls, lui et son épouse tante Sorè, qui avait la bouche un peu de travers comme si elle n’osait pas parler aux gens de face. Ils avaient une fille, Guenendl. Et là S. sentit...
Après tout, c’est vrai que ces petites villes endormies ne sont pas mal comme campagnes où passer la belle saison pour y travailler tranquillement, ce qui devient de plus en plus utopique à Paris. Moi, dans presque toutes les villes que nous venons de...
(…) « Ne bougez pas ! » tonitrue le barbier de la ville et le couteau descend tout droit jusque sur le menton. Pris de curiosité, on se tâte la figure ; que se passe-t-il là-haut ? Vous ne vous reconnaissez plus, votre nez semble plus court, les pommettes...
« Toujours allongé sur son canapé, il se sent pris d’une fièvre inhabituelle et tandis qu’elle se poursuit dans son corps, sa tête travaille à mettre en ordre d’anciens souvenirs, à élaguer certaines choses et à en rajouter certaines autres. De nouveaux personnages secondaires se présentent, il les voit se mêler à l’action, il les entend parler. C’est comme s’il les voyait sur la scène. Deux ou trois heures plus tard il avait une comédie en deux actes toute prête dans la tête. C’était un travail à la fois douloureux et voluptueux, si on pouvait appeler cela du travail, car cela se faisait tout seul, sans l’intervention de sa volonté et sans qu’il y fût pour rien. Mais à présent il fallait l’écrire. La pièce fut achevée en l’espace de quatre jours. Il allait et venait entre son bureau et le canapé où, par intervalles, il s’effondrait comme une loque. » (August Strindberg)
Ma grand-tante s’appelait Valentine. Elle vivait en solitaire à Fontbouillon, une campagne reculée, perdue, elle vivait ? — c'est un bien grand mot, je crois que je devrais plutôt dire qu’elle rêvait. Chaque jour elle s’habillait très élégamment, comme si ç’avait été un dimanche. Elle sortait peu. Elle regardait simplement la petite route qui passait devant sa porte, — où aurait-elle pu aller ? Les maris étaient morts depuis longtemps et son fils s’obstinait à vivre dans sa folie. Valentine s’asseyait à son piano et jouait ses nocturnes. La vie de Valentine est un immense, cruel et déchirant nocturne. Il y a longtemps que je pense à écrire le roman de sa vie absente. Fleur fanée d’un souvenir lointain et douloureux.
On arrive sur la grande place dès les premières heures, et tout est encore dans le tendre déploiement du rêve ; le jour est plus que le jour, — et la nuit moins que la nuit. Les pigeons égrènent la ponctuation subtile et mouvante de leur tourbillonnante quête d’horizons. Le ciel descend au milieu des murs, et les jeunes ombres s’étirent derrière les fenêtres. On est devant les vieilles procuraties, et le cœur s’absente de soi-même. On devient le voyageur de son désir — étranger au pays de ses errances.
Il faudrait calculer le secret rapport entre la main et la pensée, — je ne suis pas sûr non plus que ce soit la pensée qui s’avance jusque dans la main, — c’est autre chose, peut-être simplement l’élan, la mise en mouvement de ce rapport justement, qui reste suspendu dans le fil courbe de la plume, et la respiration viendrait de ce qu’il faut tout de même, de temps en temps, tremper la plume dans le lac sombre de l’encrier. Peut-être les pensées sont-elles justement tout au fond dans l’encrier ? petites sirènes d’argent.