1 mars 2010
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Cela fait plusieurs fois que ce type vient me voir. Il me pose des questions, — comme si je savais. Aujourd’hui nous sommes allés faire une promenade ; il y avait
du soleil au-dessus de la cour. Il m’a demandé si je savais ce que c’était, le soleil. Je lui ai dit que je le savais parce qu’il y avait du soleil par chez nous, quelquefois. « Je viens du sud,
vous pensez », ai-je ajouté. Je ne sais pas si c’est un flic, ou un avocat, ou quelqu’un dans ce goût-là. Je ne crois pas qu’il pourra m’aider en tout cas. Il me regarde mais il ne me voit pas, —
comme si j’étais devenue invisible pour lui. Ou alors il veut voir plus loin, jusque dans le vide de mon cœur condamné.
26 février 2010
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Claudia s’appelle Aida dans le film Titanus que Valerio Zurlini tourna en 1961 dans une Italie coincée entre un air d’opéra et un jazz de plage.
La fille à la valise est un peu paumée. Il
n’y a guère que Jacques Perrin pour tomber amoureux d’une telle écervelée, mais jusqu’où, au juste, est-on prêt à « tomber » quand on est amoureux à seize ans ? Tout à coup la vie devient à la
fois plus lumineuse et, aussi, beaucoup plus compliquée, jusqu’à frôler la mort. En cela Lorenzo se rapproche étonnamment d’Aida, et semble, c’est assez rare au cinéma,
en comprendre la féminité en partageant l’exacte détresse de cette fille perdue. En même temps cette
féminité est toujours excessive, mouvante, capricieuse, — une infinie et bouleversante terra incognita.
25 février 2010
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Datée du 27 Mai 1641 et contemporaine des Méditations, une lettre de
René Descartes a été retrouvée à Haverford. Érudit de philosophie à Utrecht aux Pays-Bas, Erik-Jan Bos découvre une référence dans une liste de
manuscrits du Haverford College, en Pennsylvanie. Il contacte John Anderies, responsable des collections, qui lui en retourne tout de suite
copie. Cette lettre a été donnée à la bibliothèque en 1902 par Lucy Branson Roberts,
dont le mari était collectionneur. Ils ignoraient qu’elle avait été volée par Guglielmo Libri, un comte italien épris de mathématiques. Pour échapper à une arrestation, Libri fuit à Londres en
1848 avec ses trente mille livres et manuscrits de Descartes, Galileo, Fermat, Leibniz, Copernic, Kepler, et nombre d’autres scientifiques. L’Haverford College a promis de rendre le précieux
document à son propriétaire, l’Institut de France à Paris. D’après Erik-Jan Bos, l’enseignement primordial de cette missive de quatre pages rédigée en français réside dans le dernier paragraphe, qui
« montre que, à un stade très avancé dans le processus d’impression, Descartes a modifié les
perspectives de ses Méditations de façon spectaculaire. » (in The New York
Times)
24 février 2010
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Cet après-midi, pendant que je lisais La vie de Marianne, le vent s’est levé brusquement dans la rue, poussant sur les pavés les dernières feuilles mortes.
Bientôt tout s’arrêta tout aussi brusquement, et le vent retomba ; derrière la fenêtre, le monde redevint calme et apaisé tout à fait. Il était temps de revenir dans les lointaines années vingt
du lointain dix-huitième siècle. « Tout le monde de la maison paraissait s’intéresser beaucoup à moi, surtout l’hôte et sa femme, qui venaient tendrement me consoler d’un malheur dont ils avaient
fait leur profit ; et tout est plein de pareilles gens dans la vie : en général, personne ne marque tant de zèle pour adoucir vos peines, que les fourbes qui les ont causées et qui y gagnent. »
Marivaux, in La vie de Marianne.
23 février 2010
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Le soir, leur parfum ressemble à celui du jasmin et entête le bord de la cuisine (nous mangeons dans la
cuisine, chez nous). On dirait que la lumière se fait plus douce autour des fleurs ; je me demande si une fleur n’est pas un sourire. Tout de suite la maison est plus belle, — non, ce n’est pas
plus belle qu’il faudrait dire, plutôt plus légère, plus gracieuse peut-être. Maintenant on vit dans leurs murmures (il faut bien tendre la bonne oreille pour les entendre). Elles se racontent.
De vrais romans, tenez-vous bien, avec des coups de lune, le premier soleil du matin, de la neige quelquefois certains après-midi, — et au printemps plein de papillons aussi colorés qu’elles qui
font les fous dans le vent. C’est un bouquet de confidences à portée d’amitié. La nuit, elles s’endorment en se blottissant dans un secret.
23 février 2010
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C’est le roman de Hugh Conway dont Emily parlait quelquefois dans ses
lettres à ses cousines Louise et Fanny (et même dans sa toute dernière missive : « Little Cousins, Called Back.
Emily. » Celui-ci doit être absolument son exemplaire, posé sur la petite table d’écriture et caressé par l’or chaud de la lumière d’automne. À Amherst on le garde très
précieusement, comme tout ce qu’elle a touché dans sa vie recluse, la plume, le vase, ou la serviette de toilette. La maison est toute propre, le ciel délavé, — mais les saisons ont pris peur et
se sont vite cloîtrées dans ses rudes poèmes. Avec la poussière endormie des longs pays rêvés. (Tiens, on dirait qu’il neige sur les arbres ce
matin.)
21 février 2010
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… Sans doute, on voit bien qu’il s’est frotté au beau monde, et qu’il connaît son Marivaux. Mais c’est toujours la vieille querelle : lui fera-t-on grief de certaine singularité d‘expression ?
Singularité nécessaire, répond Jacob, quand « il est question de rendre ce qui se passe dans l’âme, cette âme qui se tourne en bien plus de façons que nous n’avons de moyens pour les dire, et à
qui du moins on devrait laisser, dans son besoin, la liberté de se servir des expressions du mieux qu’elle pourrait, pourvu qu’on entendît clairement ce qu’elle voudrait dire, et qu’elle ne pût
employer d’autres termes sans diminuer ou altérer sa pensée ». Je ne connais pas de meilleure leçon.
(
Marcel Arland, préface au
volume
Romans de Marivaux, bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1949).
20 février 2010
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C’est à Berlin à la fin des années vingt du vingtième siècle. Wolfgang, un jeune représentant, invite Christl à
la plage de Wannsee. Pourquoi pas ? Erwin, le voisin de Wolfgang, chauffeur de taxi de son état, l'accompagne, — Christl n’a-t-elle pas eu la bonne idée de venir avec sa blonde amie Brigitte ?
Les acteurs ne sont pas professionnels, mais derrière la caméra il y a Robert Siodmak et Edgar Ulmer, et le scénario a tout de même été concocté par
certains Billie Wilder et Fred Zinnemann, — rien que du beau monde pour ce film qui est une pure merveille de spontanéité, de fraîcheur, de jeunesse et de
liberté. Le cinéma est devenu parlant depuis déjà quelques mois, mais du côté de Wannsee on tourne en muet soixante-quinze minutes d’un film néoréaliste avant la lettre. La nouvelle vague n’est
pas loin, qui attendra cependant trente ans avant de s’afficher définitivement, — sans jamais dépasser ce moment miraculeux où, sur les berges de Wannsee, des jeunes filles tombent amoureuses et
n’osent se l’avouer. (Menschen am Sonntag, Les hommes le dimanche, People on sunday, je crois bien qu’il existe un dvd
disponible dans l'e-commerce, — il faut juste tomber dessus… mais ce n’est peut-être pas aussi simple qu’il n’y paraîtrait !)
20 février 2010
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« Le moment paraît donc venu de passer devant et de prendre le chemin de mon logis ; mais le moyen de le
retrouver ? Au Caire, les rues n’ont pas d’écriteaux, les maisons pas de numéros, et chaque quartier, ceint de murs, est en lui-même un labyrinthe des plus complets. Il y a dix impasses pour une
rue qui aboutit. Dans le doute, je suivais toujours. Nous quittons les bazars pleins de tumulte et de lumière, où tout reluit et papillote, où le luxe des étalages fait contraste au grand
caractère d’architecture et de splendeur des principales mosquées, peintes de bandes horizontales jaunes et rouges ; voici maintenant des passages voûtés, des ruelles étroites et sombres, où
surplombent les cages de fenêtres en charpente, comme dans nos rues du Moyen Âge. La fraîcheur de ces voies presque souterraines est un refuge aux ardeurs du soleil d’Égypte, et donne à la
population beaucoup des avantages d’une latitude tempérée. » Gérard de
Nerval (Les femmes du Caire, in
Voyage en Orient.)
18 février 2010
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« Elle se mit à songer que si son mari revenait, la vie cesserait d’être insipide et que le printemps ne refleurirait pas en vain. Combien de fois n’avait-elle pas
tracassé son compagnon par de stériles disputes ou de vaines querelles ! Dans toute la sincérité de son cœur repentant, elle se promit de ne plus contrarier les désirs de son mari, de supporter
son autorité et de se plier d’un cœur tendre à tout ce qu’il pourrait souhaiter de bien ou de mal ; car un mari est tout, un mari est l’objet le plus cher de l’amour, un mari est divin.
(Rabindranath Tagore, in La sœur
aînée, Mashi, Connaissance de l’Orient, Série indienne, Gallimard, 2002).