12 août 2010
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Apparemment l’auteur est assez heureux et satisfait de lui, — et serait même prêt, si l’occasion
s’en présentait, à refaire une petite et charmante promenade de santé dans la réalité. Que sait-on de la réalité ? comment s’assurerait-on qu’on soit vraiment en vie ? La question n’est pas
encore à l’ordre du jour dans l’intelligentsia philologue. Ernest doit préparer, plutôt, son discours de réception à l’Académie française, où il occupera le fauteuil vingt-neuf de Claude
Bernard. Ernest Renan (1823-1892)
11 août 2010
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Fleur de lotus solitaire
au bord de l’étang
éternité éphémère
estampe d’Utamaro Kitagawa (1753-1806)
9 août 2010
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Sur les pages brunes du cahier silencieux, c’est toute sa vie qui vient affleurer. Sa vie ? est-ce seulement sa vie, ou celle qu’il a rêvée ? Nous sommes peut-être en 1912, l’automne, le soir
bleu descend sur Paris, — le temps s’est arrêté sur le boulevard Haussmann, si proche et si lointain. L’âme joyeuse et endeuillée, la plume court à l’intérieur d’un labyrinthe. Chaque
sensation, chaque émotion est portée à ébullition. La littérature naît à chaque paragraphe, mais peut-on raturer l’amour ? Marcel Proust, l’un des soixante-deux cahiers
d’écriture d’A la recherche du temps perdu, Le côté de Guermantes (Bibliothèque nationale de France, département des manuscrits, NAF 16679).
9 août 2010
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Au début ça piquait bien un peu, mais c’était plutôt rigolo. Le seau était magnifique, des glaçons
musiciens y improvisaient une joyeuse sarabande, — et la petite robe blanche se faisait si mignonne tout plein qu’on avait bien envie de la garder toute la semaine… Dans la flûte de maman les
bulles remontent par dizaines à la surface respirer un petit coup. Moi, je finis la bouteille en catimini, mais je ne vois pas les bulles. C’est bien embêtant, tout le plaisir du champagne est
dans ces petites sorcières qui allument mille feux d’artifice ! Après, j’avais la tête qui chavirait de dodelinantes impressions, et le cœur plein d’étoiles. Si je cours au jardin, mes pieds vont
me jouer de mauvais tours, c’est certain, je préfère les mettre sagement à l’abri sous moi sur la chaise, et attendre un peu. Heureusement que c’est dimanche, et que je n’ai pas besoin
d’apprendre mes leçons ni ma récitation !
7 août 2010
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« Est-ce qu’on ne peut pas admettre que des hommes capables, intelligents, et à plus forte raison
doués de talent ou même de génie — donc indispensables à la société — au lieu de végéter toute leur vie soient dans certains cas libres de désobéir aux lois ? » Michel (Martin La Salle), in
Pickpocket, Robert Bresson, 1959.
4 août 2010
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Cela s’était
produit dans ce même jardin, non loin de l’endroit où ils se trouvaient maintenant. Le souvenir se compléta. D’autres passages qu’elle avait rappelés à son frère lui revinrent : « Est-ce toi, ou
n’est-ce pas toi ? Je ne sais où je suis, et je ne veux pas le savoir ! » « J’ai surmonté tous mes pouvoirs hormis la force obscure ! Je suis amoureuse, et je ne sais de qui ! J’ai le cœur
plein d’amour et vide d’amour tout à la fois ! » Ainsi s’élevait à nouveau en elle la plainte des mystiques dans le cœur desquels Dieu s’est enfoncé aussi profondément qu’une épine qu’aucune
pointe de doigt ne peut plus atteindre. Robert Musil, L’Homme sans qualités, troisième partie, chapitre 55, traduit par Philippe Jaccottet, éd. du Seuil, 1957. Ill.
faksimile der Skizze zu Gartenfest (Esquisse à la fête champêtre).
3 août 2010
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Vous ne savez plus trop quoi faire de votre vie ces jours derniers ? — eh bien peut-être pourriez-vous embarquer, vous aussi, sur le Mandan et remonter le tonitruant Missouri. C’est un
truc que vous ne ferez pas tous les quatre matins, je vous assure. Les paysages du côté des Rocheuses sont grandioses, et les ciels immenses comme l’éternité. Prenez votre fusil, de la poudre et
deux couvertures. Pas besoin d’emporter de la lecture, vous en aurez vraiment plein les pattes et dormirez sous les étoiles comme une masse. Au bout d’une douzaine de semaines de cette vie rude
et enivrante, vous vous ferez de nouveaux copains chez les Blackfoot qui font parler les nuages. Tout serait pour le mieux dans le meilleur de l’ouest s’il n’y avait pas à bord cette fichue
indienne, — une vraie princesse indienne même, la captive aux yeux clairs. Alors là, les choses deviennent presque proustiennes dans votre cœur, — si Proust avait écrit sa folle
recherche à califourchon sur un baril de poudre, disons. Howard Hawks, The Big Sky, RKO, 1952.
30 juillet 2010
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Quand Clarissa, bien des années plus tard, s’efforçait de se souvenir de sa vie, elle éprouvait des difficultés à en retrouver le fil. Des espaces entiers de sa mémoire semblaient recouverts de
sable et leurs formes étaient devenues totalement floues, le temps lui-même passait au-dessus, indistinct, tels des nuages, dépourvu de véritable dimension. Elle parvenait à peine à se rendre
raison d’années entières, tandis que certaines semaines, voire des jours et des heures précis et qui semblaient dater de la veille, occupaient encore son âme et son regard intérieur ; parfois,
elle avait l’impression, le sentiment de n’avoir vécu qu’une partie infime de sa vie de façon consciente, éveillée et active, tandis que le reste avait été perçu comme une sorte de somnolence et
de lassitude, ou comme l’accomplissement d’un devoir vide de sens. Clarissa (traduction de Jean-Claude Capèle, éditions Pierre Belfond, Paris, 1992) Stefan
Zweig (debout, avec son frère, Vienne, 1900)
28 juillet 2010
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J’ai mis du temps, mon dieu ! tant de temps pour découvrir Gérard (quelquefois il suffit de dire « Gérard » pour savoir de
qui on parle…), et ses Petits châteaux, précieux, sont ceux que l’on garde dans les Espagnes rougeoyantes nichées au fond de notre cœur (Mon doux pays des Espagnes / Qui voudrait
fuir ton beau ciel, / Tes cités et tes montagnes, / Et ton printemps éternel ?). Gérard de Nerval, Petits châteaux de Bohême, prose et poésie, Eugène Didier,
Éditeur, au 6, rue des Beaux-Arts, Paris, MDCCCLIII, in-32 de 96 pages, faisant partie de la collection Éditions Diamant. La Bibliographie de la France du 1er janvier 1853
enregistrera le volume au titre de l’année 1852 ; plusieurs exemplaires porteront cette date sur leur couverture. Le contrat avec l’éditeur Didier avait été signé le 14 décembre 1852 (notice de
Jean-Luc Steinmetz dans l’édition des Œuvres complètes, volume III, La Pléiade, Gallimard, 1993). Pour lire l’ouvrage en taille
normale, il suffit, théoriquement, de laisser glisser le curseur « petite main » sur les pages et de cliquer sur le petit écran situé au-dessous au milieu de la bande grise qui apparaît
miraculeusement en pied d’ouvrage — on n’arrête guère le progrès, n’est-ce pas ? par ces temps… Un immense, immense merci à Madame Gallica de l’honorable Bibliothèque nationale de France
!
28 juillet 2010
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Dans les brumes au-dessus du lac, la barque glisse dans l’irréalité du monde, emportant Genjuro et Tobei qui veulent
provoquer leur fortune et fuir leur destin. Ils ne feront qu’en précipiter les funestes épisodes, — le premier se perdra dans de fantomatiques amours, tandis que le second ira jusqu’à usurper ses
rêves de samouraï. Le fantastique de Mizoguchi est si délié, précis, grave et tourmenté, qu’il n’est pas sans éclairer durablement notre quotidien ordinaire. Kenji
Mizoguchi, Les contes de la lune vague après la pluie (Ugetsu monogatari, 雨月物語) 1953, d’après deux contes de Ueda
Akinari (1734-1809).